79 journalistes arrêtés depuis la mort de Mahsa Amini : une répression terrifiante

Mises à jour le 15/09/2023 : Selon de nouvelles informations reçues par RSF, la journaliste Nazila Maroufian a été libérée sous caution le 9 septembre 2023 après avoir fait appel de sa condamnation, et la journaliste Farzaneh Yahyaabadi est libérée sous caution depuis octobre 2022, après avoir été gravement agressée lors d'interrogatoires. Cela porte à trois le nombre de femmes journalistes arrêtées après septembre et toujours en détention. 

Reporters sans frontières (RSF) dresse le bilan d’un an de répression contre les professionnels de l'information depuis la mort de Mahsa Amini dans les geôles de la police iranienne et le mouvement populaire qui s’en est suivi. Le régime a construit un véritable labyrinthe de sanctions contre les journalistes fait d’arrestations abusives à répétition et de procès aux charges fallacieuses. 79 journalistes ont été détenus en Iran depuis le soulèvement du pays selon les données de RSF. Douze d’entre eux sont toujours derrière les barreaux, et la liberté de ceux qui sont sortis reste en sursis.

L’affaire commence toujours par une arrestation puis un interrogatoire. Une journaliste interpellée en manifestation, un reporter menotté à son domicile après une embuscade violente, ou un autre arrêté au sein de sa rédaction. Pour les 79 journalistes détenus après avoir couvert le mouvement de contestation populaire aux lendemains de la mort de Mahsa Amini le 16 septembre 2022, le prétexte de l’interpellation n’est pas souvent clair. La charge principale, elle,  semble immuable : “propagande contre l'État". En bonus, souvent, des circonstances aggravantes, telles que "rassemblement interdit", "collusion contre la sécurité de l'État" ou encore "collaboration avec un pays hostile”. Sur les 24 journalistes derrière les barreaux en Iran, la moitié ont été emprisonnés suite aux manifestations de contestation de Mahsa Amini.

Une fois détenus, la majorité de ces professionnels se retrouvent alors coincés dans les couloirs obscurs de la justice iranienne. Violences physiques et psychologiques, corruption judiciaire et dysfonctionnement bureaucratique s’allient pour les enfermer dans un labyrinthe de répression. Parfois, des journalistes disparaissent tout simplement des radars et il peut se passer plusieurs heures avant que leurs proches n’apprennent leur placement en isolement. Quand audience il y a, la date peut être annoncée puis annulée, tandis que certaines sessions se tiennent sans que les avocats des journalistes en soient informés, ou bien à la dernière minute. En somme, le flou est entretenu. "Il n'y a pas de règles pour dicter ce qui peut être dit et ce qui ne peut pas être dit dans la presse, résume un journaliste iranien à RSF, sous le couvert de l'anonymat. S'il y avait des règles, nous saurions comment les contourner. Les autorités sont suffisamment intelligentes pour le comprendre. Tout est arbitraire, donc tout est interdit."

"Malgré sa complexité, ce labyrinthe de la répression conçu par le pouvoir iranien aboutit à une formule très simple : soit les journalistes s’autocensurent, soit ils sont enfermés. Mais si les arrestations se poursuivent, c’est parce qu’il reste des journalistes qui défient cette formule. Nous demandons aux autorités iraniennes de cesser les poursuites contre eux, de mettre fin aux obstructions qui entravent la presse, et de libérer les 12 journalistes qu'elles détiennent depuis le début du mouvement populaire, ainsi que l’ensemble des journalistes emprisonnés.

Jonathan Dagher
Responsable du bureau Moyen-Orient de RSF

Le régime iranien exerce par ailleurs son contrôle sur les journalistes en multipliant les peines avec sursis ou conditions. Sur les 79 journalistes interpellés depuis le début du soulèvement, 24 ont été condamnés de six mois à six ans de prison, pour, entre autres charges, “propagande contre l’État”. Si la plupart ne sont pas derrière les barreaux, c’est parce qu’ils ont parfois bénéficié d’un leurre de clémence en janvier avec une vague d’amnisties, écopé d’un sursis ou sont dans une attente interminable d’une exécution de leur peine. Les juges suspendent en effet souvent les punitions pour une durée fixe, se réservant le droit de les mettre en œuvre si le journaliste commet un autre "crime".  A savoir que tous ces professionnels sont interdits de quitter le pays, d’exercer leur métier d’informer et de s'adresser à la presse. En instituant ainsi une peur permanente de la répression, l’Iran réduit les journalistes au silence.

Même en exil, les journalistes vivent avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Ils sont susceptibles de recevoir des menaces provenant du régime, qui parfois va jusqu’à la détention arbitraire des membres de leurs familles dans leur pays. C'est ce qu’a vécu la rédactrice en chef du site d’information en persan Iran Wire, Shima Shahrabi. Alors qu’elle dû s’exiler, son frère, le journaliste radio Sajjad Shahrabi, a été arrêté en Iran en mai 2023, a subi un interrogatoire sur le travail de sa sœur et a été emprisonné pendant plus d’un mois.

L’Iran : une des plus grandes prisons au monde pour les journalistes femmes

Les femmes journalistes qui couvrent, depuis un an, le mouvement “Femmes, Vie, Liberté”, sont particulièrement visées par la répression du régime iranien. Parmi les 79 professionnels de l’information arrêtés depuis un an, identifiés par RSF, 31 sont des femmes. L'Iran est ainsi devenu l'une des plus grandes prisons au monde pour les femmes journalistes.

Cinq de ces 31 femmes journalistes sont toujours en prison. Sans ces journalistes, la couverture du mouvement de contestation qui a suivi la mort de Mahsa Amini, “Femme, Vie, Liberté”, n’aurait pas été la même. Parmi elles, la journaliste de Shargh Daily, Niloofar Hamedi est celle qui a fait savoir au monde que la jeune Mahsa Amini était décédée après une garde à vue policière. Il y a aussi Elaheh Mohammadi qui a été la seule journaliste à couvrir les funérailles de la jeune femme à Saqqez dans le Kurdistan iranien, pour le média Han Mihan. Toutes deux sont lourdement inculpées et attendent toujours leur verdict.

Quant à la journaliste de Rouydad24 Nazila Maroufian, elle a de nouveau été arrêtée le 30 août après avoir été graciée d’une ancienne peine le 28 janvier. Rapidement condamnée à un an de prison pour "publication de propagande", celle qui avait interviewé le père de Mahsa, a par ailleurs témoigné avoir été agressé sexuellement lors de son arrestation. 

La journaliste indépendante Farzaneh Yahya-Abadi est, elle, en détention provisoire depuis son arrestation le 19 octobre 2022 pour avoir couvert les manifestations populaires dans sa ville d’Abadan de la province du Khuzistan. Et la journaliste indépendante Vida Rabbani, purge depuis le 22 septembre 2022 une peine de six ans d'emprisonnement pour “rassemblement et collusion contre la sécurité du pays” et “propagande contre l’État”.

L'Iran est classé 177e sur 180 pays dans le classement 2023 de la liberté de la presse de RSF.

Image
176/ 180
Score : 21,3
Publié le