Reporters sans frontières écrit à Jacob Zuma après ses menaces à l'encontre de la presse

Le 3 juillet 2006, le vice-président du Congrès national africain (ANC), Jacob Zuma, a lancé un ultimatum, assorti d'une menace d'action en justice, à plusieurs médias sud-africains auxquels il reproche leur couverture du procès pour viol dont il est sorti blanchi en mai dernier. Les médias ont 14 jours pour lui payer 125 millions de rands (13,6 millions d'euros).

M. Jacob Zuma
Vice-président
Congrès national africain (ANC)
8 Epping Road
Forest Town
Johannesburg 2000
Afrique du Sud Paris, le 7 juillet 2006
Monsieur, Reporters sans frontières est profondément étonnée par votre attitude dans le contentieux qui vous oppose aux journaux The Star, The Citizen, Sunday Sun, Sunday Times, Sunday Independent, Sunday World, Rapport, à la station de radio Highveld Stereo et au caricaturiste Zapiro. Il nous semble parfaitement légitime que, vous estimant diffamé, vous cherchiez à obtenir réparation, mais nous croyons aussi que la méthode que vous avez choisie n'est pas la bonne, et qu'elle est plus susceptible de nuire à votre image qu'à la restaurer. Les montants exorbitants des dommages et intérêts que vous exigez des médias ressemblent plus à une intimidation qu'à la réponse d'un homme blessé. Cette attitude ne peut mener qu'à braquer contre vous la presse privée, et en aucun cas à obtenir réparation pour le tort qui a pu vous être causé. En vérité, nous sommes déconcertés par la tournure et l'ampleur que prend cette affaire. Nous sommes également inquiets de l'impact d'une victoire éventuelle dans un procès sans précédent contre la presse, dans un pays qui connaît, probablement mieux qu'aucun autre sur le continent africain, le prix chèrement conquis de l'indépendance et de la liberté. Considérez que, si le mécanisme qui assure le pluralisme et la liberté d'expression venait à se gripper en Afrique du Sud, faiseur de paix et modèle de développement pour l'Afrique australe, c'est la presse de toute une région qui s'en trouverait mise en péril. Votre victoire serait un blanc-seing donné aux régimes autoritaires africains, qui se réclameraient de vous pour s'en prendre à la presse de leur pays. Nous vous appelons à soutenir la presse indépendante qui use de son droit à la libre expression tout en vous donnant un droit de réponse, en engageant le dialogue avec elle, plutôt qu'en brandissant la menace, disproportionnée pour un homme politique d'envergure nationale, d'une sanction pécuniaire et judiciaire asphyxiante pour les médias concernés. En espérant que vous serez convaincu par nos arguments, je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de ma haute considération. Robert Ménard
Secrétaire Général
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Updated on 20.01.2016