Serbie : RSF appelle les autorités à mettre un terme à la régulation toxique des médias

Après deux fusillades de masse en Serbie, d’importantes manifestations accusent les chaînes pro-gouvernementales d’être en partie responsables du climat de violence. Reporters sans frontières (RSF) appelle les autorités du pays candidat à l’adhésion à l’UE à réformer l’organe de régulation des médias, à promouvoir une éthique journalistique et à lutter contre la prolifération de la violence dans les médias.

Formant les plus grandes manifestations depuis la chute du dictateur Slobodan Milosevic en 2000, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées à Belgrade le 3 juin dernier pour demander la dissolution de l’organe de régulation des médias et le retrait des licences de diffusion de chaînes pro-gouvernementales. Les manifestations organisées par les partis de l’opposition dénoncent la culture de la violence dans les médias comme étant responsable de la mort de 18 personnes lors de deux fusillades de masse. Samedi dernier, soit un mois après les massacres des 3 et 4 mai, les manifestants étaient dans la rue pour la cinquième fois.

Dans ce contexte de défiance et de contestation, l’Autorité de régulation pour les médias électroniques (REM) a un rôle crucial à jouer pour garantir et promouvoir un cadre pluraliste et responsable, où l’éthique journalistique est respectée.

“La régulation toxique des médias en Serbie doit cesser immédiatement. Nous exhortons le gouvernement et le Parlement à adopter une réforme de fond pour le REM, afin de le rendre plus efficace, indépendant et transparent. En attendant, l’autorité de régulation doit exercer ses compétences existantes et envisager des sanctions contre les médias qui enfreignent la loi en incitant à la haine et en appelant à la violence. Le REM doit utiliser ses pouvoirs dans l’intérêt public, et non à son encontre.

Pavol Szalai
Responsable du bureau UE-Balkans de RSF

La violence est régulièrement présente dans les émissions de téléréalité diffusées par les médias privés pro-gouvernementaux. TV Pink s’est engagée à cesser de diffuser, à partir de la semaine prochaine, l’émission “Zadruga”, qui mettait en scène un criminel condamné pour des délits liés à la drogue et du vol, et dont l’auteur présumé du massacre du 4 mai se serait inspiré. Star de la téléréalité, le délinquant récidiviste est apparu à l’écran en train d’insulter et d’attaquer d’autres participants, et a été jusqu’à étrangler son partenaire.

En outre, les chaînes pro-gouvernementales ont l’habitude d’amplifier les attaques politiques contre les journalistes de médias indépendants dans des spots TV non signés. Quelques jours après avoir été ciblé par le gouvernement et être apparu, en avril dernier, dans une de ces campagnes sur Pink TV, le journaliste de la chaîne Nova S, Marko Stepanovic, a été physiquement menacé par une voiture alors qu’il roulait sur une autoroute.

Dès le lendemain des élections présidentielle et parlementaires qui se sont tenues l’année dernière, RSF a demandé aux nouveaux élus de s’assurer que les licences de diffusion nationales soient allouées en toute transparence et indépendance politique, et uniquement aux médias respectant le Code d’éthique des journalistes. Dans les recommandations rédigées en collaboration avec des spécialistes serbes et publiées en avril 2022, l’organisation proposait également des mesures spécifiques pour garantir l’efficacité, l’impartialité et la transparence de la REM. RSF a ainsi recommandé de dépolitiser la sélection des membres du conseil de l’Autorité, ce qui a même fait l’objet d’une discussion entre le gouvernement, des spécialistes des médias et des associations de journalistes dans la perspective d’être intégrée à une nouvelle loi sur les médias. En réalité, le gouvernement serbe a engagé la réforme avec sa propre stratégie des médias et un plan d’action correspondant.

Cette non-mise en œuvre a été dénoncée dans les rapports à la fois de la Commission européenne et du Parlement européen supervisant l’intégration de la Serbie à l’Union européenne, et pour lesquels RSF a été consultée. Au lieu de respecter ses engagements internationaux et de soumettre la réforme au Parlement, la Serbie a fait l’exact contraire. En juillet 2022, l’autorité de régulation a renouvelé les licences de diffusion de quatre chaînes pro-gouvernementales, dont Pink TV, en dépit de leurs flagrantes violations de la loi. RSF a alors demandé que la cinquième fréquence nationale soit attribuée à un média capable d’offrir une meilleure garantie en termes d’indépendance éditoriale et d’éthique journalistique que les quatre détenteurs actuels des licences. Alors que le processus était interrompu, la REM a approuvé, en mai dernier, la demande de diffusion d’Informer TV, lancée par le tabloïd du même nom, qui se fait le relais de la propagande gouvernementale.

En outre, au lieu de promouvoir le pluralisme et l’indépendance médiatiques, les autorités exercent une pression permanente sur les médias indépendants. Le vice-président du Comité parlementaire pour la culture et membre du parti au pouvoir SNS Nebojsa Bakarec a accusé sans fondements les chaînes indépendantes N1 et Nova S – qui n’ont pas de licence de diffusion nationale – de “créer une atmosphère délétère au sein de la société, propice à des événements tragiques comme une fusillade de masse”. Les attaques politiques ont précédé la violation des locaux de N1 par 30 individus, sans que la police n’intervienne. Le 2 juin, un groupe a encore tenté de perturber le travail des journalistes de la chaîne indépendante.

Après avoir chuté de 12 places, la Serbie occupe le 91e rang sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.

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