A TV5 Monde, des pays prédateurs de la liberté de la presse approchés pour intégrer le capital de la chaîne audiovisuelle publique
Depuis quelques mois, le patron de TV5 Monde est en tournée pour tenter de faire entrer plusieurs pays africains à l’actionnariat de la chaîne, dont le siège est basé à Paris. Si l’objectif affiché d’ouverture à d’autres acteurs de la Francophonie est tout à fait louable, le casting comprend plusieurs États au passif très lourd en matière d’atteintes à la liberté de la presse et dont les chaînes publiques nationales, appelées à être représentées et diffusées, restent des instruments de propagande au service des régimes en place, très loin des standards d’une information libre, plurielle, fiable et indépendante.
Dans les prochaines années, sept pays africains pourraient intégrer le capital de TV5 Monde, la chaîne francophone actuellement détenue par des sociétés audiovisuelles publiques française, belge, canadienne, québécoise, suisse et monégasque. Le Sénégal (104e sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF), la Côte d’Ivoire (54e), le Bénin (112e), le Congo (81e), le Cameroun (138e), le Gabon (94e) et la République démocratique du Congo (124e) ont été sondés ou sont en passe de l’être par Yves Bigot, le PDG de la chaîne.
Selon les premières informations parues dans la presse et un document produit en interne par TV5 Monde relatif à ce projet obtenu par RSF, les pays ciblés se sont vus proposer, moyennant une participation à hauteur de 600 000 euros par an, la possibilité de siéger de manière tournante au conseil d’administration de la chaîne. Pour un siège permanent, le ticket d’entrée s’élèvera à 4,2 millions d’euros. Le budget de la chaîne s’élève à 124 millions d’euros pour 2024.
En matière d’information, la perspective de ces arrivées potentielles au capital de la chaîne quadragénaire soulève de nombreuses questions sur l’indépendance de sa rédaction et la fiabilité de ses contenus d’information. Plusieurs de ces pays sont en effet connus pour leurs atteintes répétées à la liberté de la presse.
“Solliciter une junte militaire (le Gabon) et deux pays (le Cameroun et le Congo) dirigés par les mêmes hommes depuis des décennies et dont l’actualité est régulièrement émaillée d’assassinats et de détentions arbitraires de journalistes soulève des inquiétudes légitimes quant au futur de l’information sur cette chaîne publique. Nous demandons aux gouvernements bailleurs déjà présents et aux actuels responsables de la chaîne de ne pas mettre en péril un modèle d’information libre et indépendant sur l’autel de considérations diplomatiques. Il convient d’entendre les craintes fondées déjà exprimées et de prendre toutes les mesures nécessaires pour renforcer les mécanismes visant à protéger la liberté et l’indépendance de la rédaction.”
Le projet inquiète particulièrement les correspondants de la chaîne qui font déjà face à des pressions dans certains de ces pays approchés pour entrer au capital de TV5 Monde. “Une entrée dans la gouvernance risque d’aggraver cette situation, voire de dissuader des collaborateurs de travailler avec nous”, craint un journaliste de la chaîne basé à Paris.
“On ne jouera pas avec l’indépendance”
Autre problème, les journaux des chaînes publiques de ces États devraient être diffusés en partie ou en intégralité à l’antenne. Or, leur contenu relève encore très souvent de la propagande d’État au service des gouvernements ou des régimes en place. “Aurait-on pu traiter l’affaire Martinez Zogo avec la même pugnacité (NDLR: journaliste assassiné par un commando issus des services secrets camerounais) si le Cameroun était actionnaire de la chaîne?” s’interroge un autre journaliste. À terme, plusieurs journalistes interrogés par RSF disent craindre un traitement plus édulcoré de l’actualité voire de l’autocensure dans certains de ces pays.
Joint par téléphone alors qu’il rentrait de Kinshasa pour soumettre le projet aux autorités congolaises, Yves Bigot, le PDG de TV5 Monde qui a déjà été reçu dans la plupart des pays visés, justifie le projet au nom d’une “plus grande horizontalité” de cette chaîne francophone actuellement détenu par des États du Nord et assure que “ces pays n’entreront qu’à la condition de se mettre dans le moule” existant à TV5 Monde. “On ne jouera pas avec l’indépendance”, promet-il. Un travail a déjà été entamé pour renforcer les mécanismes visant à protéger l’indépendance de la rédaction. Il apparaît nécessaire.