Maroc : RSF dénonce une nouvelle expulsion de deux journalistes étrangers
Les reporters Quentin Müller et Thérèse Di Campo ont été arrêtés dans la nuit du 20 au 21 septembre à leur hôtel à Casablanca, où ils menaient une enquête journalistique, et ont été expulsés quelques heures plus tard, sans explication. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une nouvelle expulsion de journalistes étrangers qui démontre une volonté des autorités marocaines d’entraver la liberté de la presse.
Le séjour de la photojournaliste indépendante Thérèse Di Campo et du rédacteur en chef adjoint du magazine français Marianne Quentin Müller a été brutalement abrégé : une dizaine d’hommes en civil, portant des masques médicaux, ont débarqué dans leur l’hôtel ce mercredi 20 septembre vers 3h00 du matin et leur ont signifié qu’ils n’étaient plus les bienvenus au Maroc.
Conduits à l’aéroport Mohamed V, ils ont attendu plus d’une heure, enfermés dans les locaux de la police judiciaire de l'aéroport, avant d’être informés qu’ils allaient être expulsés vers Montpellier. Quentin Müller proteste en indiquant qu’il réside à Paris et non à Marseille. Thérèse Di Campo a indiqué à son tour à ses interlocuteurs, qui se sont présentés comme policiers, qu’elle réside à Bruxelles. Les hommes se retirent avant de revenir avec des billets d’avion à destination de l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle. L’un d’entre eux a pris en photo les deux journalistes expulsés alors qu’ils quittaient la salle pour rejoindre l’avion.
Aucune explication n’a été fournie aux deux journalistes, même si pour le journaliste indépendant marocain exilé en Espagne, Ali Lmrabet, il n’y a aucun doute que la véritable raison de cette expulsion est le fait que les deux journalistes expulsés ont rencontré durant leur séjour au Maroc des familles de détenus politiques. Après son expulsion, Quentin Müller a lui-même annoncé dans un tweet la sortie prochaine d'une "longue enquête sur le Roi Mohammed VI, sa cour et ses services de sécurité". Le journaliste de Marianne et auteur spécialiste de la péninsule arabique a également assuré avoir pu “amasser des informations exclusives qui dépeignent un régime toujours plus dur, effrayé par tout élan de contestation locale”. Pour lui, ils ont été arrêtés parce qu’ils ont rencontré des “personnalités marocaines surveillées”. “Il n’y a pas d’autre explication”, a-t-il déclaré à l’AFP, qualifiant son arrestation de “purement politique”.
“Informer et témoigner, à plus forte raison dans des situations dramatiques, est au cœur du travail des journalistes. Nos confrères faisaient leur travail. Ceux qui ont décidé de les en empêcher brutalement abîment eux-mêmes leur image. Alors que plusieurs journalistes marocains sont emprisonnés sous de fausses accusations, des journalistes étrangers sont expulsés sans raison. Cette nouvelle expulsion, atteinte brutale et inadmissible à la liberté de la presse, montre une volonté d’empêcher la couverture médiatique dans le pays, qu’elle soit locale ou internationale. RSF appelle les autorités marocaines à respecter le travail des journalistes.
"Ce sont des méthodes de barbouzes et des actes brutaux d'intimidation. C'est inquiétant car les autorités sont censées protéger les journalistes étrangers sur leur territoire et non pas entraver leur travail avec des méthodes dignes d'un roman d'espionnage, nous confie Thérèse Di Campo. Ma nationalité française me protège, en tant que journaliste européenne et ne m'a valu qu'une expulsion, mais au Maroc il existe depuis des années un véritable écosystème de la répression qui s'abat sur toute personne qui exprime son opinion. Les autorités marocaines ont emprisonné les journalistes critiques, mais aussi des citoyens pour un simple tweet, ou encore des personnes qui participaient à des manifestations avec des revendications sociales, pour certaines condamnées à 20 ans de prison”, poursuit cette photojournaliste, qui a couvert notamment les mouvements sociaux au Maroc, dont les soulèvements dans la région du Rif, au nord du pays, en 2017 et qui est également membre du comité de soutien aux prisonniers politiques au Maroc de Bruxelles.
Le gouvernement marocain a réagi à cette expulsion ce jeudi. Son porte-parole, Mustapha Baïtas a, dans une déclaration à l’issue de la réunion du gouvernement, affirmé que les deux journalistes français étaient entrés au Maroc en tant que "touristes”, et qu’ils n’avaient pas annoncé aux autorités leur intention de mener des activités journalistiques.
Une tradition marocaine de l’expulsion de journalistes
Quentin Müller et Thérèse Di Campo ne sont pas les premiers journalistes étrangers à subir cette sanction de la part des autorités marocaines. Un grand nombre de leurs confrères étrangers ont déjà eu affaire par le passé à ce type de méthode.
Fernando Gonzalez et quatre autres journalistes de la chaîne de télévision espagnole La Sexta ont été expulsés en juillet 2021 par les autorités marocaines. L'agence de presse EFE rapportait alors que cette expulsion était motivée par leur travail sur un accident industriel qui avait causé la mort de 29 personnes dans un atelier textile de Tanger la même année.
Le journaliste britannique du Guardian, Saeed Kamali Dehghan, a lui aussi été expulsé, le 28 septembre 2017, alors qu’il était en reportage dans la ville d’Al-Hoceima, une région du nord du royaume qui était alors secouée depuis presque un an par un vaste mouvement de contestation populaire.
En mai 2017, c’est le journaliste algérien du quotidien El Watan, Djamel Alilat, qui a été expulsé manu militari du pays pour avoir couvert les manifestations qui secouaient la région du Rif, et avait été arrêté au cours de l’une d’entre elles. Deux mois plus tard, le gouvernement marocain expulsait deux journalistes espagnols, le directeur du site d'information Correo Diplomático, José Luis Navazo, qui vivait au Maroc depuis des années, et le délégué du journal à Madrid, Fernando Sanz, alors qu’ils couvraient eux aussi les manifestations dans la région du Rif, "parce qu'ils n'avaient pas l'accréditation nécessaire", selon des sources officielles.
Deux journalistes français de l’agence Premières Lignes, Jean-Louis Perez et Pierre Chautard, ont quant à eux été expulsés en février 2015 alors qu’ils travaillaient sur un documentaire traitant de l’économie marocaine et des problèmes de répartition des richesses.
Une longue liste d’expulsions de journalistes étrangers par les autorités de ce pays qui occupe le 144e rang sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse 2023 de RSF.