Israël: le ciblage des journalistes palestiniens doit cesser

Alors que le début du mois d’avril a été marqué par une spirale de violences à Jérusalem et en Cisjordanie, 17 journalistes palestiniens ont été pris pour cible, agressés ou entravés dans l’exercice de leur métier par les forces de l’ordre israéliennes. Pour Reporters sans frontières (RSF), ces attaques systématiques, nourries par un schéma d’impunité, doivent cesser de toute urgence.

Mise à jour du 19/06/2023 : Quatre noms s'ajoutent à la liste des journalistes pris pour cible par les forces israéliennes. Le 8 juin, pendant qu'ils couvraient une opération militaire à Ramallah, trois journalistes ont été visés par des balles en caoutchouc. Alors que le photojournaliste indépendant Rabea' Monir a été blessé à l'abdomen, Momen Samreen, photographe de Filistine Post, a été grièvement blessé à la tête et a dû rester en soins intensifs pendant plus d'une semaine. Le troisième, touché à la jambe, a préféré garder l'anonymat. Le 16 juin, le journaliste indépendant Ihab Alami, collaborateur d'AP et d'Al Jazeera, a reçu deux balles en caoutchouc dans la cuisse, tirées à une distance de 10 mètres.

Au cours d’un scénario de tensions qui se répète trop souvent au moment des fêtes religieuses mais qui a aussi été alimenté cette année par la montée en puissance de l’ultra-droite israélienne, 17 nouveaux journalistes palestiniens ont été pris pour cible, agressés ou entravés dans l'exercice de leur métier par les forces de sécurité israéliennes. RSF a recueilli leurs témoignages. En six jours seulement, entre le 4 et le 10 avril 2023, neuf d’entre eux ont été frappés ou ciblés par des tirs de gaz lacrymogènes, tandis que huit autres ont été purement et simplement empêchés de couvrir l’actualité.

“À chaque flambée de tensions à Jérusalem ou en Cisjordanie, les forces israéliennes entravent systématiquement le travail des journalistes palestiniens, en les bloquant ou en les attaquant afin de censurer leurs images. La communauté internationale ne peut plus fermer les yeux sur ce nombre exorbitant de violations contre les journalistes. Près d’un an après l’assassinat de Shireen Abu Akleh, il est urgent d’agir pour mettre fin à ce schéma d’impunité.

Jonathan Dagher
Responsable du bureau Moyen-Orient de RSF

Tensions autour de la mosquée Al-Aqsa : deux journalistes agressés, huit journalistes entravés dans l’exercice de leur métier

Le 4 avril, un peu avant le milieu du Ramadan et alors que les Juifs s’apprêtaient à célébrer la Pâque, la police israélienne est intervenue à l'intérieur de la mosquée Al-Aqsa, à Jérusalem-Est, pour, selon elle, déloger des “émeutiers”. C’est dans ce contexte tendu que le caméraman indépendant Wehbe Makieh, qui se trouvait dans la mosquée pour la chaîne de télévision Al Mayadeen TV, a été interpellé, retenu contre son gré et battu par cinq policiers israéliens. “Je leur ai dit que j'étais journaliste et je leur ai montré ma carte de presse, mais ils ne l'ont pas pris en compte”, témoigne-t-il. Wehbe Makieh a été détenu pendant une heure avant d'être finalement relâché. Le photojournaliste indépendant Atta Awisat était lui aussi en train de filmer dans la salle de prière de la mosquée lorsqu'il a été agressé par des soldats israéliens."Ils ont tapé avec un bâton sur ma jambe gauche", a-t-il expliqué à RSF.

Comme elle le fait régulièrement lors des périodes de fêtes religieuses, la police israélienne a également restreint ce jour-là les accès à l'esplanade des Mosquées, où se situe la mosquée Al-Aqsa, et a interdit à huit journalistes de s’y rendre. Le photojournaliste de l’Associated Press, Mahmoud Illean, le photographe indépendant Saeed al-Qaq, les photojournalistes de l’agence de presse turque Anadolu Mostafa Al-Kharouf et Fayez Abu Armila, le logisticien administratif d’Anadolu Moaz Al-Khatib, la photojournaliste de la branche palestinienne de la chaîne de télévision jordanienne Roya TV Baraah Abu Ramouz, la correspondante de la plateforme locale d’information en ligne al-Quds al-Bawsala, Hiba Najdi et le photographe de l’AFP Ahmad Gharabli, avaient tous été missionnés pour couvrir les affrontements en cours sur l’Esplanade. Mais la police israélienne les en a empêchés, tandis que d'autres correspondants étrangers ont, eux, été autorisés à se rendre sur les lieux.

Affrontements près de Bethléem : un journaliste ciblé et blessé par l’armée israélienne

Le 9 avril, le photojournaliste indépendant Abd al-Rahman Hassan a été blessé au pied par une balle en caoutchouc tirée vers lui par l’armée israélienne alors qu'il se trouvait dans le village d'Al-Khader, près de Bethléem, en Cisjordanie, pour couvrir des affrontements entre des colons juifs et des habitants palestiniens. Vêtu d’un gilet “presse”, le journaliste s'était pourtant posté en retrait, derrière un mur, avec son assistant.  Une attaque enregistrée par sur son téléphone portable. “Je suis sorti en criant “presse, presse”. Je pensais que je serais en sécurité, mais un soldat m'a tiré dessus. Il est clair que j’ai été directement ciblé”, raconte-t-il à RSF.

 Marche pro-colons : six journalistes pris pour cible par des tirs de gaz lacrymogène, de balle en caoutchouc ou de grenades assourdissantes

Le 10 avril, lors d'une marche réunissant plusieurs milliers d’ultranationalistes israéliens, dont des ministres et des députés, pour réclamer la régularisation d’un avant-poste illégal au sud de Naplouse en Cisjordanie, des heurts ont éclaté dans le village palestinien de Beita et un groupe de journalistes palestiniens a sciemment été ciblé par l’armée israélienne.

Le journaliste d’Ultra Palestine, branche du média régional Ultra Sawt, Mujahid Bani Mufleh, la photographe de l'AFP Raneen Sawafta et la photographe indépendante Shadia Bani Shamseh ont directement été visés par des tirs de gaz lacrymogène alors qu’ils tentaient tous les trois de porter secours au journaliste indépendant Mahmoud Fawzi, lui-même blessé au pied par une balle en caoutchouc tirée par l’armée israélienne. Tous les quatre étaient pourtant identifiables en tant que journalistes grâce à leurs gilets “presse” et se tenaient à l’écart des manifestants israéliens. “Quiconque tentait de se déplacer ou de se rapprocher pour filmer la marche était exposé à des tirs de gaz”, explique Mujahid Bani Mufleh. De nombreuses vidéos documentent cette scène d’agression contre le groupe isolé de journalistes. 

Le soir même, le caméraman d’Al-Jazeera Mubasher, Muhammad Turkman et le photojournaliste du média local en ligne Jmedia, Hatem Hamdan, ont également été pris pour cible par l’armée israélienne près du poste de contrôle de Beit El, une colonie israélienne au nord de Ramallah. Les deux journalistes, portant des gilets “presse”, venaient de filmer des colons en train de saccager des voitures garées appartenant à des palestiniens et s'apprêtaient à quitter les lieux, lorsque des soldats israéliens sont arrivés en jeep, ont commencé à leur crier dessus puis ont lancé des grenades assourdissantes et du gaz lacrymogène dans leur direction.

Ce décompte important ne fait pas état  des autres témoignages recueillis par RSF auprès de journalistes palestiniens qui ont, eux, préféré garder l'anonymat ou encore des journalistes qui ont été touchés involontairement au cours de leur couverture des événements sur le terrain.

Israël occupe la 86e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2022.

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