Gambie : condamnation par un tribunal suisse de l’ancien ministre de l’Intérieur pour crimes contre l’humanité, dont des actes de torture sur deux journalistes

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Un tribunal suisse a reconnu coupable un ancien haut fonctionnaire gambien de crimes contre l’humanité, et l’a condamné à une peine de 20 ans de prison. Reporters sans frontières (RSF) salue cette décision et rappelle que l’ancien président Yahya Jammeh, principal responsable des crimes commis contre des journalistes, ne devrait plus pouvoir se soustraire à la justice.

Le 15 mai, Ousman Sonko, ancien ministre de l’Intérieur de la Gambie, a été reconnu coupable d’avoir commis des crimes contre l’humanité, dont des actes de torture sur deux journalistes, par le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone en Suisse. RSF salue la conclusion de cet important procès, qui constitue une étape supplémentaire dans la quête de justice de la Gambie pour les nombreux crimes commis durant l’ère Jammeh. Durant ses mandats, l’ancien président Yahya Jammeh a persécuté de manière cruelle tous ses opposants présumés, parmi lesquels de nombreux journalistes critiques. Son puissant ministre de l’Intérieur de l’époque, Ousman Sonko, vient d’être condamné à 20 ans d’emprisonnement.

Après l’Allemagne, la Suisse est aujourd’hui le deuxième État à avoir enquêté sur les crimes contre l’humanité commis en Gambie durant l’ère Jammeh. Ousman Sonko et Bai Lowe ont été condamnés pour leur contribution aux crimes contre les Gambiens que le dictateur Yahya Jammeh considérait comme une menace à l’encontre de son pouvoir, parmi lesquels de nombreux journalistes. Ces procès menés en vertu du principe de la compétence universelle, loin de la Gambie et de la plupart des victimes, montrent que la quête de la responsabilité est possible et indiquent les prochaines étapes : poursuivre la quête de justice en Gambie et demander des comptes à Jammeh en personne.

Sadibou Marong
Directeur du bureau Afrique sub-saharienne de RSF

De 1996 à 2017, Yahya Jammeh a imposé son régime cruel dans cet État d’Afrique de l’Ouest. Pour éliminer toute menace à l’encontre de son pouvoir, il a commandité les exécutions extrajudiciaires de ses opposants présumés, dont de nombreux journalistes critiques. L’ancien correspondant de RSF Deyda Hydara, ainsi que Madi Ceesay et Musa Saidykhan figurent parmi les journalistes dont les cas ont été examinés par les tribunaux de Celle en Allemagne, et de Bellinzone en Suisse. À l’issue du procès d’Ousman Sonko, les juges à Bellinzone ont établi que Madi Ceesay, à l’époque journaliste et aujourd’hui membre du Parlement gambien, et Musa Saidykhan, alors rédacteur en chef de The Independant, l’un des quotidiens les plus importants de Gambie, ont été arrêtés à la suite d’articles publiés dans The Independant et ont été torturés au cours des semaines qu’ils ont passées en détention par les autorités gambiennes – à l’époque sous le contrôle du ministre de l’Intérieur. Nombre de leurs collègues ont subi le même schéma de persécution, des médias ont été fermés et leurs locaux ont été la cible d’incendies criminels. Être un journaliste critique en Gambie sous le régime Jammeh signifiait être constamment en danger.

 “Plus de 100 journalistes ont fui le pays pour vivre en exil, y compris moi-même. Beaucoup d’autres ont définitivement abandonné leur activité, ce qui a impacté, sinon tué le journalisme indépendant. Aujourd’hui encore, nous avons à nous relever de cette perte, qui a mené à l’affaiblissement du journalisme indépendant dans le pays”, déclare le journaliste Sanna Camara, rentré dans son pays en 2017 après trois ans d’exil, afin de continuer à travailler à Banjul, la capitale.

 Les journalistes face à d’importants obstacles pour suivre les procès

Alors que la liberté de la presse s’est considérablement améliorée après l’ère Jammeh, les journalistes gambiens ont rencontré des difficultés majeures pour suivre les procès en Allemagne et en Suisse. Les audiences et les conclusions étaient principalement menées en allemand, sans tenir compte des besoins de compréhension des journalistes et des victimes. Seuls quelques journalistes gambiens ont réussi à se rendre à Bellinzone en dépit de frais importants, après avoir surmonté les processus d’obtention de visa et les barrières linguistiques. Mariam Sankanu et Sanna Camara ont suivi le procès depuis les premières audiences.

 “Le fait que des journalistes gambiens ont pu suivre le procès a permis d’amener l’information au plus près des personnes les plus concernées – le peuple gambien, y compris les victimes. Avant ce procès, on n’entendait pas beaucoup parler de Sonko au sein de la population. Mais je dirais que les reportages des journalistes gambiens ont réveillé les gens et attisé leur intérêt. Aujourd’hui, tout le monde attendait le verdict avec impatience. Tout le monde était curieux, parce que tout le monde a pu suivre l’affaire”, souligne la journaliste d’investigation Mariam Sankanu. Avec le soutien de RSF, les deux journalistes ont pu rejoindre Bellinzone à partir de Banjul pour assister au verdict.

Appel à l’extradition de Jammeh vers la Gambie

RSF Suisse déplore toutefois le fait que le tribunal n’ait pas suffisamment tenu compte des particularités d’un procès mené sur la base de la compétence universelle. “Pour qu’un tel procès atteigne véritablement ses objectifs, il aurait dû se dérouler dans des conditions telles que les parties, les témoins, ainsi que le public et les représentants des médias de Gambie, auraient pu suivre les débats grâce à une traduction simultanée en anglais assurée par le tribunal suisse lui-même. Cela n’a pas été le cas. Nous le regrettons et espérons que le Tribunal pénal fédéral en tirera des leçons à l’avenir”, a déclaré Denis Masmejan, secrétaire général de RSF Suisse.

À l’occasion de ce verdict, RSF réitère son appel à l’extradition de Yahya Jammeh vers la Gambie, où la Commission vérité, réconciliation et réparation (TRRC) a ouvert la voie pour que les responsables des violations des droits humains commises sous son régime soient appelés à rendre des comptes, et où la société civile insiste auprès de son gouvernement pour qu’il mette en œuvre les recommandations de la TRRC. Le fait de juger Jammeh en personne permettrait de franchir une nouvelle étape cruciale dans la quête de justice et de renforcer la liberté de la presse dans ce pays.

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